Le rhum agricole, fleuron de la Martinique
Depuis deux semaines, je vous parle de l’île aux fleurs, comme on la surnomme. Cette île vit depuis toujours au rythme des distilleries. Véritable patrimoine martiniquais, le rhum agricole est un héritage d’exception.
De Macouba à Sainte-Luce, du Carbet au François, la Martinique compte aujourd’hui 9 distilleries dont 7 encore « fumantes », c’est-à-dire en activité. Autant dire que le rhum est partout. Comme le sont aussi les plantations de canne à sucre qui se développent dès la seconde moitié du XVIIème siècle par les Français pour satisfaire un marché en pleine expansion. Jusqu’à ce que le marché du sucre de canne s’effondre avec le développement du sucre de betterave au XIXème siècle, et que les Colons se voient contraints de développer une nouvelle économie : celui de la distillation du jus de canne fermenté. Cette boisson fortement alcoolisée, le tafia, sert déjà à requinquer les esclaves et à panser les blessures des ânes bâtés. Les « Habitations », ces vastes exploitations agricoles qui possèdent jusqu’à alors une sucrerie deviennent petit à petit des distilleries. Une véritable industrie se met en place. Saint-Pierre compte 16 rhumeries et devient le centre mondial du commerce du rhum agricole. Malgré l’abolition de l’esclavage en 1848 et l’éruption de la Montagne Pelée en 1902 qui détruit entièrement la ville de Saint-Pierre et ses environs, les Habitations forment aujourd’hui encore l’économie historique et principale de l’île après la banane.
Habitation Depaz à Saint-Pierre - la maison des maîtres
Habitation Depaz à Saint-Pierre - une des maisons des ouvriers
Habitation Saint-Etienne (HSE) au Gros-Morne - la maison des maîtres
Habitation Clément à Saint-François - la maison des maîtres (pièce de vie et chambres) ajourd'hui, un musée
Des champs…
Chaque année, le mois de février marque le début de la récolte de la canne à sucre qui arrive à maturité. Commence alors le balai incessant des engins agricoles entre les champs et les distilleries. Beaucoup d’exploitations ont mécanisé la coupe mais certains producteurs – souvent les plus petits – pratiquent encore la récolte traditionnelle au coutelas malgré la pénibilité du travail et les risques d’accidents liés aux feuilles coupantes et à la présence des serpents dans les cultures. Selon la douzaine de variétés de canne cultivées en Martinique pour leurs qualités agricoles et leur richesse en sucre, la récolte dure jusqu’en juin. Inutile ensuite de replanter des cannes : elles reprennent en 72 heures à partir de la souche restée en terre et se gorgent de nouveau en sucre en 9 mois avec le gaz carbonique de l’air et de l’eau du sol grâce à la photosynthèse. Ce n’est qu’au bout de 7 à 10 ans que les cannes, épuisées, sont arrachées et replantées.
… à la distillerie
Une fois coupée, la canne est rapidement transportée à la distillerie. Moins de 2 heures séparent la récolte de la transformation. Pesée et échantillonnée pour évaluer sa teneur en sucre, la canne s’engage alors dans un « coupe-canne » pour la hacher et la défibrer puis dans une série de trois moulins pour y être broyée et en extraire le « vesou ». Le premier moulin permet d’extraire 70% de ce jus transparent et gorgé de sucre. Au deuxième et au troisième moulin, la canne est aspergée d’eau pour en recueillir davantage, environ 700 litres par tonne de canne. Tamisé dans une rotative, le vesou est ensuite envoyé dans une cuve de fermentation. Le résidu de canne, appelée « bagasse », est utilisé comme combustible pour alimenter la chaudière à vapeur.
Des trous percés dans les remorques transportant la canne à sucre permettent de prélever des échantillons à l'arrivée à la distillerie
stock de cannes - Distillerie Saint-James à Sainte-Marie
coupe-canne - Distillerie JM à Macouba
moulins de broyage de la canne à sucre - Distillerie Saint-James
La méthode d’extraction à froid du jus de canne est le signe de distinction du « rhum agricole » martiniquais vis-à-vis des autres rhums dans le monde. Ces derniers, dits « rhums industriels », sont en effet distillés à partir de la fermentation des mélasses issues de la fabrication du sucre de canne.
chaudière - Distillerie Saint-James
bagasse - distillerie Saint-James
Quand le sucre devient alcool
Ouverte à l’air libre, la cuve s’enrichit de bactéries qui, grâce aux levures ajoutées, transforment le sucre en alcool. 24 à 36 heures plus tard, le « vin de canne » obtenu titre entre 4 et 5% de volume d’alcool. Il est alors prêt à être distillé.
cuves de fermentation - Distillerie JM
cuves de fermentation - Distillerie Saint-James
Autrefois distillé dans des alambics charentais, le vin de canne est aujourd’hui introduit dans le haut d’une colonne de distillation, toujours en cuivre, formées de plusieurs plateaux. Par un système de trop-pleins, le vin descend progressivement de plateaux en plateaux tandis que la vapeur d’eau fait le voyage inverse en se chargeant d’alcool et d’arômes.
anciens alambics de type charentais, colonne à plateaux... musée Saint-James à Sainte-Marie
colonne à plateaux - Distillerie Saint-James
colonne à plateaux extérieure - Distillerie JM
Refroidie ensuite dans un condenseur, la vapeur se transforme en un liquide incolore titrant à 73% d’alcool pur.
Ce rhum « de coulage » repose alors dans une cuve en inox, régulièrement additionné d’eau de source déminéralisée afin de diminuer sa teneur en alcool. Il faut entre 3 et 8 mois et 30 000 litres de jus pour obtenir environ 2000 litres de rhum blanc, rond et aromatique, à 55%.
Blanc, ambré, vieux, une question de temps
D’abord mis en foudre de chêne pendant 18 mois, où le rhum perd en alcool, le rhum devenu ambré est ensuite transvasé en fûts de chêne plus petits, généralement de 200 litres, pour avoir davantage de contact avec le tanin du bois. Ces fûts proviennent de distillerie de bourbon, de cognac, de Xerès ou de grands vins de Bordeaux qui permettent au rhum de se charger lentement de leurs parfums.
foudres de vieillissement - Distillerie Saint-James
fûts de vieillissement - Distillerie JM
fûts de vieillissement - Distillerie HSE
Pour prétendre à la dénomination « rhum vieux », le rhum y reste au moins 3 ans. Trois années qui correspondent à 7 /9 ans dans l’Hexagone car les conditions atmosphériques tropicales accélèrent naturellement le processus de vieillissement. La chaleur et l’humidité provoquent une évaporation, la part des anges, également plus importante, autour de 8% du volume totale contre 1,5 pour le Cognac.
chai de vieillissement - Distillerie HSE
Selon le temps et le soin apportés à chaque fût, le Maître de chais peut tirer le meilleur du rhum pour composer ses assemblages comme tout autre grand spiritueux. Ainsi, depuis 1996, le rhum agricole bénéficie d’une AOC, signe d’un produit authentique et de qualité.
l’AOC "Rhum agricole Martinique" a été la première AOC d’outre-mer
Distillerie JM, site de Fond Préville à Macouba
distillerie Saint-James à Sainte-Anne
Distillerie Depaz à Saint-Pierre
le moulin du Val d'Or à Sante-Anne retrace l'histoire de la canne à sucre jusqu'à l'apparition des distilleries