Mauviel ou l'art de travailler le cuivre culinaire
Si vous suivez Mag'cuisine depuis quelques temps, vous savez sans doute que j'ai un faible pour le patrimoine régional de Normandie (d'ailleurs aussi, je vous rassure !). Et lorsqu'il est lié à la gastronomie, ça me plait encore davantage. Or, ici, nous sommes gâtés. Non seulement, notre région est riche d'une agriculture variée (élevage, maraichage...) et d'une pêche propice, mais en plus, elle bénéficie du fleuron d'entreprises historiques dans l'art de la table et de la cuisine : Guy Degrenne à Vire, Franke / Roblin (hottes) ou encore Mauviel 1830 à Villedieu-les Poêles. Je vous épargne les entreprises de renommée internationale dans d'autres domaines comme Louis Vuitton ou Saint-James.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de visiter les entreprises Guy Degrenne et Franke. En revanche, j'ai eu la chance d'être accueillie à deux reprises par Valérie Leguern, 7ème génération de la famille Mauviel. Je parle de chance car je possède des produits Mauviel 1830 que j'apprécie vraiment au quotidien. Et puis je voue une admiration sans borne pour les gens qui savent faire quelque chose de leurs mains. je suis toujours impressionnée de voir à quel point d'un simple matériau certains sont capables de faire de belles choses. Et je dois avouer, qu'ici plus qu'ailleurs, ce constat est vivace.
Laissez-moi vous conter cette jolie manufacture...
Mauviel a été officiellement créée en 1830 par Ernest Mauviel dans une petite bourgade du Sud de la Manche, siège d’une confrérie de dinandiers, de poêliers et de fondeurs de cloches (celles de Notre-Dame à Paris en viennent) dès la fin du XIIème siècle : Villedieu-les-Poêles. Pour la petite histoire, ce sont ces activités qui ont donné le nom de la ville en 1962 (auparavant, elle s'appelait Villedieu) d'une part, d'autre part, celui de ses habitants, les Sourdins, que le martelage du cuivre rendait sourds.
Dès sa création, la manufacture se spécialise dans le cuivre nu pour la pâtisserie, le cuivre étamé et l'aluminium. Elle ne fabrique alors que pour des distributeurs français et ne poinçonne pas ses articles à son nom mais aux leurs. C'est sans doute pour ça que le nom Mauviel est assez méconnu du grand public en France, malgré les 1200 pièces fabriquées par jour.
A l'étranger, c'est différent. Mauviel, qui a équipé les cuisines du Titanic, est exporté depuis 1962, notamment aux Etats-Unis grâce à Williams Sonoma, une entreprise américaine de distribution de meubles, fournitures de cuisine, linge de maison et accessoires pour l'habitat, mais aussi dans le reste du monde y compris l'Asie depuis 2012. Référence mondiale, Mauviel fournit 80% des professionnels jusqu'en 2002. Elle y connaît aussi un grand succès auprès du grand public à l'étranger car, même sans cuisiner, les gens aiment s'équiper de matériel professionnel venu de France, symbole de la gastronomie. 60% de son CA est alors réalisé à l'export.
Depuis quelques années, l'ambition de l'entreprise est de faire connaitre davantage son nom en France, auprès des particuliers. Mais le cuivre n'a pas autant de succès ici qu'ailleurs. Mauviel 1830 ne vend que 9% de pièces en cuivre en France. Pour ce faire, l'entreprise fait évoluer ses produits. En 1988, la manufacture lance le bilaminé (90% de cuivre / 10% d'inox) ; en 1995, c'est au tour du multi-couches inox pour l'induction de faire son apparition. Une révolution dans le monde de la casserole ! Grâce aux 5 couches qui recouvrent l'ensemble du produit (fond et parois), la conduction de chaleur est comparable à celle de l'alu et du cuivre. Un litre d'eau bout en 6 mn dans une casserole en inox standard, en 3 mn avec une M'Cook. En 2004, la manufacture concrétise sa volonté d'être présent auprès du grand public en poinçonnant à son nom les nouvelles montures en fonte d'inox.
Pour Valérie Leguern, l'important est de respecter ce qui a été fait durant 7 générations et de transmettre le savoir-faire et la qualité des produits quels que soient les clients, grands chefs cuisiniers comme particuliers. Dans son atelier de production de Villedieu qui rassemble une soixantaine d'ouvriers, on ne déroge pas à la règle : un produit Mauviel 1830 est garantie à vie.
D'une plaque de métal à une casserole...
Chaque jour, l'atelier de production reçoit des feuilles planes de cuivre, d'inox et d'aluminium (des "flans") qui sont d'abord découpées en bandes à la cisaille puis détourées en cercles.
La mise en forme se fait ensuite selon des techniques d'emboutissage (à la presse) et de repoussage (avec un tour). Ce travail de dinandier nécessite un réel savoir-faire et quelques années d'expérience car ici, rien n'est automatisé. Chaque pièce est fabriquée manuellement et/ou mécaniquement. C'est la main de l'homme qui oeuvre, assistée de machines plus ou moins anciennes et uniques.
Les pièces embouties sont réalisées à partir d'une forme qu'on appelle un mandrin, fabriqué par un prestataire extérieur. Un ouvrier commande 2 à 3 presses. Chaque machine emboutit jusqu'à 200 tonnes de pression. Les pièces sont ensuite rognées et lissées pour ôter le surplus de matière et l'uniformiser.
Les poêles et les marmites sont, elles, réalisées à partir de la technique de repoussage. L'ouvrier façonne sa pièce à l'aide d'un tour. Il faut au moins 2 ans pour apprendre le geste et plusieurs années pour le maîtriser.
Un poste spécial est destiné à la seule réalisation des turbotières et poissonnières. Le dinandier y exprime tout son savoir-faire : il rétreint le métal à l'aide d'un marteau pour lui donner une forme et lever les bords, plane à la batte, soude, borde (réalise un bord, comme un ourlet, à la main)... 4h30 à 5h sont ainsi nécessaires pour former une turbotière.
Une fois mises en forme, les pièces (casseroles, poêles) revêtues d'une couche antiadhésive sont alors envoyées chez un sous-traitant qui applique le revêtement, avant de reprendre leur bonhomme de chemin dans l'atelier.
Les pièces rondes en inox passent au rayonnage intérieur, effectué par une borne abrasive en rotation ; celles rectangulaires (comme les plaques à cuire) au microbillage.
Les pièces en cuivre sont, quant à elles, étamées. Cette étape spectaculaire consiste à recouvrir l'intérieur de la pièce de deux couches d'étain chauffé à 350°, refroidi dans l'eau et frotté. Tout va très vite et le moindre faux pas compromet la pièce.
Selon la tradition, les pièces de cuivre peuvent aussi être martelées. Une opération qui se fait à l'oeil par un ouvrier expert en la matière, pour des pièces uniques.
Vient ensuite le moment du polissage extérieur puis du satinage des fonds, une étape purement esthétique, du perçage, du montage des montures par riveteuse et du poinçonnage qui, selon les pièces, est automatisé ou manuel.
Une fois contrôlée par deux femmes aux yeux de lynx, chaque pièce est ensuite emballée à la main avant d'être envoyée en magasin.
Une Expositon universelle
Depuis le 1er mai et jusqu'au 31 octobre, le savoir-faire normand rayonne à l'Exposition universelle de Milan grâce à Mauviel 1830. Eblouissant, l’immense plafond du Pavillon Français est constellé de 370 ustensiles réalisés par la célèbre manufacture de Villedieu-les-Poêles.
Casseroles, poêles et autres accessoires en cuivre, en aluminium et en inox sont suspendus afin de former une sculpture aussi impressionnante qu’inattendue. Une véritable oeuvre d’art qui marquera sans aucun doute l’esprit de plus de 20 millions de visiteurs attendus.
Au Café des Chefs, restaurant du pavillon de la France, neuf grands chefs, tous vainqueurs ou finalistes du prestigieux concours du Bocuse d’Or et membres de l’association des Bocuse d’Or Winners, mettent chaque jour en valeur des produits du terroir avec des menus étudiés pour proposer des prix accessibles. A la clé, de savoureux plats, exécutés avec talent et passion dans des ustensiles Mauviel 1830 pour décliner la cuisine française dans tous ses états.
Chapeau bas Mauviel 1830 !
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Mauviel 1830
47 route de Caen - 50800 Villedieu-les-Poêles
Comptoir (magasin d'usine) ouvert du lundi au vendredi de 9h à 12h et de 14h à 18h / mauviel-boutique.com